Alger, lycée Bugeaud
Le CENTENAIRE du Lycée d'Alger
UN SIÈCLE DE CULTURE FRANÇAISE
Le lycée d'Alger commémore le centenaire de sa fondation
M. Carde, premier magistrat de la colonie entouré de toutes les hautes personnalités a présidé l'inauguration de ces fêtes
Professeurs et élèves, dans une même joie, célèbrent 'ce glorieux anniversaire

Le lycée fête en ce moment son centenaire. Bien des choses viennent d'être publiées à ce sujet, qu'il serait inutile de redire en ces pages. L'école d'initial enseignement secondaire, Galtier, de 1 833 - le primitif collège de la rue des Trois-Couleurs, de 1 835 - celui de Bab-Azoun en son cadre militaire turc, où en 1848, il se transforma en lycée : les chambres parées de faïences, d'inscriptions, que, simples janissaires, habitèrent de hauts personnages d'EI-Djezaïr, tout cela, je me suis déjà plu à le remettre dans les mémoires, par des chroniques, par une monographie de notre grand centre universitaire. En même temps, mention fut faite, d'autres créations, comme celle de la classique maison Bastide-JourdanCarbonel où, si longtemps, ce centre s'approvisionna de livres.

*** La qualité médiocre des photos de cette page est celle de la revue. Nous sommes ici en 1935. Amélioration notable plus tard, dans les revues à venir. " Algeria " en particulier.
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L'Afrique du Nord illustrée du 18 mai 1935 - Transmis par Francis Rambert

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Le CENTENAIRE du Lycée d'Alger

Le CENTENAIRE du Lycée d'Alger
Le CENTENAIRE du Lycée d'Alger

SAMEDI 18 MAI 1935
Nouvelle série N" 733. - 30" Année

LE CENTENAIRE DU LYCÉE D'ALGER

Le lycée fête en ce moment son centenaire. Bien des choses viennent d'être publiées à ce sujet, qu'il serait inutile de redire en ces pages. L'école d'initial enseignement secondaire, Galtier, de 1 833 - le primitif collège de la rue des Trois-Couleurs, de 1 835 - celui de Bab-Azoun en son cadre militaire turc, où en 1848, il se transforma en lycée : les chambres parées de faïences, d'inscriptions, que, simples janissaires, habitèrent de hauts personnages d'EI-Djezaïr, tout cela, je me suis déjà plu à le remettre dans les mémoires, par des chroniques, par une monographie de notre grand centre universitaire. En même temps, mention fut faite, d'autres créations, comme celle de la classique maison Bastide-Jourdan Carbonel où, si longtemps, ce centre s'approvisionna de livres. Mention suivit encore, de la fondation des deux annexes, de Ben-Aknoun ( 1 886), de Mustapha ( 1 898). A la fois, et en légitime fierté, furent signalés certains anciens disciples de marque, parmi lesquels, les Algériens Carde, présent Gouverneur général de l'Algérie, et Mallarmé, actuel Ministre de l'Education Nationale. Oui, tout cela a été dit. Aussi, plus spécialement, évoquerai-je ici, quelques souvenirs du lycée Bab-el-Oued, ouvert en 1868, et où passèrent jusqu'à ce jour, plusieurs générations de la République.
Il y a un peu plus de cinquante ans, j'y arrivai moi-même. Avec l'année 1882, je m'y trouvai en " Humanités ", en compagnie de camarades ayant noms : Gagé, Hannedouche, Laporte, Paul Gavault. Je la revois toujours cette salle aux hautes fenêtres, avec ses tables en gradins, en laquelle notre vieux professeur Boisard nous initiait à la langue d'Horace, de Sophocle, de Racine. Bien que son verbe n'eût ni l'animation, ni la couleur qui caractérisaient les causeries élégantes de l'historien Maurice Wahl (devenu inspecteur général), nous n'écoutions pas moins attentifs, ses doctes leçons.

Matin et soir, aux heures de rentrée qu'annonçait de sa caisse, le tambour Monin, nous venions, nous, les externes, sous l'oeil vigilant du surveillant Monier, et sous la direction de maîtres d'études que nous dénommions tout court, Saurel, Granier, nous former au long du grand escalier, en deux théories dont les diverses sections devenaient les lots d'une quinzaine de professeurs parmi lesquels figuraient MM. Brunet, Vollot, De Galland, Verdin, Waille, puis encore Toubin, Carèche, et aussi, le pétulant maître de gymnastique, Bedour, décoré de la médaille de la Baltique.

Des portiques de la grande cour, une Casbah plus blanche, plus mauresque, qu'aujourd'hui, nous apparaissait au-dessus du campanile de l'horloge, avec, à droite, le minaret et le caroubier de SidiAbd-er-Rahman. Mais ce n'était pas au vieil Alger que l'on songeait à cette époque. Le passé oriental ne nous intéressait que médiocrement. Le présent, " notre présent " nous était d'un bien plus haut attrait. L'heureux âge !

Avions-nous bien en ce temps, des projets arrêtés concernant notre avenir ? La chose pour certains était des plus douteuses.
Plusieurs devenus par exemple, de considérés médecins ne paraissaient guère alors se soucier de la science d'Hippocrate. Quant à Gavault, quiconque eût annoncé la brillante situation qu'il devait acquérir dans la société parisienne, en qualité d'auteur du théâtre, aurait couru le.risque de voir son oracle accueilli d'un bel éclat de rire.

Toutefois cet enjoué auteur de " L'Enfant du Miracle " ne fut pas sans témoigner au milieu de nous, de quelque habileté dans la composition française, par quoi il devait plus tard connaître le succès.

Je me: souviens d'un jour où il se distingua plus particulièrement en la partie. Il s'était agi de raconter les derniers moments du Tasse et de faire, d'imagination, une descriJDtion aussi vraisemblable que possible des funérailles du célèbre poète. Déjà metteur en scène adroit, Gavault avait pour son effet de la fin, fait intervenir en son récit, d'un lyrisme agréable, le charme d'une lumineuse manifestation météorologique, d'un superbe arc-en-ciel, déployant sa splendeur sur l'apothéose que constituait la cérémonie religieuse dont Rome avait le spectacle. Et j'ai souvenance que le bon M. Boisard loua 'cômplaisamment le jeune narrateur, de son style et de son ingénieux artifice.

Cependant, pour " un " dont le théâtre fit la fortune, les autres, tout fervents qu'ils fussent en général, de son art, embrassèrent des carrières combien différentes de celle où triompha Molière. Car il faut savoir qu'en dépit de nos programmes, le théâtre était devenu pour nous, non seulement d'étude mais encore d'action. Parmi philosophes, rhétoriciens, scientifiques aussi, une société artistique " L'Union Dramatique ", était née qui, en la Salle Malakoff, à Bab-cl-Oued, avec un service de parade de Zouaves, donna nombre de représentations : " Ruy-Blas ", " Don César de Bazan ", " Marie Qouchet ", dont étaient interprètes, les camarades Basset, Guende, Legrand, Maleval (junior), et, pour les rôles féminins, des professionnelles.

On joua de même " Le Fils de Coralie " où, improvisé notaire, le condisciple Loizillon, destiné à l'administration des Communes Mixtes, lançait avec succès, la fameuse tirade réhabilitant le héros de la pièce, à l'instruction duquel avait pourvu le produits de l'inconduite de sa mère. " Oui, proclamait-il d'une voix retentissante, la science est moins acquise par l'argent qui la paie que par l'intelligence qui se l'assimile ! " Et que de bravos là-dessus !

Mais le théâtre ne fut pas pour tous une source de joie. Des misères aussi en résultèrent pour plusieurs. Mme Agar en tournée, offrait au " National " : " Phèdre ", " Andromaque ", " Athalie ". Les internes des hautes classes avaient sollicité du Proviseur, l'autorisation d'y assister. Refus catégorique. Aussitôt, échauffement des têtes. Une révolte éclate. Les plus ardents, pour un temps, furent exclus de la maison. S'étant montré plus agressif, Viviani fut l'objet d'une mesure plus grave : Le lycée, tous ceux de France lui furent impitoyablement fermés. Ainsi advint-il à celui qui plus tard, devait assurer l'ordre scolaire, au titre de Grand-Maître de l'Université !

Après les quelques élèves dont il vient d'être question et auxquels succédèrent des cadets non moins intéressants, une pensée est à accorder à cette collectivité dénommée : les Anciens Elèves dont date l'Association, de l'année 1859. Un mot lui revient de droit. Son président du début fut le camarade Delorme.

Les suivants : Rémy Treck, Letellier, De Galland puis Berlandier. Des plus utiles (il est superflu de l'exprimer), par les liens qu'elle maintient audelà des études, par la sollicitude dont elle fait preuve à l'égard du lycée lui-même, cette association, on s'en souvient, se manifesta à son honneur lors du Xe Congrès Universitaire qui se tint à Alger, en 1912, sous la présidence de M. Leprince-Ringuet.

A son honneur encore, elle se manifeste en ce présent Centenaire à la célébration duquel, si nombreux, participent ses membres.
Jusqu'ici, presque rien n'a été dit des professeurs du passé qui furent en renom auprès de leurs contemporains. Nous arriva-t-il comme lycéens, d'entendre parler de ceux que nous ne connûmes point ? Mais oui, quelquefois. De la sorte, nous furent rappelés entre autres : Caro, entré à l'Institut ; le savant océanographe, Georges Aymé ; Henry Aron de la Rhétorique, qui alla aux " Débats " ; Patenôtre, de la Seconde, entré dans la diplomatie ; le mathématicien, Georges Duruy, appelé à Polytechnique ; l'historien et futur recteur, Boissière ; l'écrivain Masqueray.

Leur souvenir fut à l'occasion évoqué, comme devait l'être plus tard, celui de l'académicien, Louis Bertrand, collègue sous la Coupole, de l'élève Pierre Benoît.

A ces souvenirs depuis, d'autres, de particulière émotion, s'ajoutèrent, s'attachant aux deux cent cinquante braves qui, en cette dernière guerre, tombèrent pour le salut de la France, et parmi lesquels furent le professeur, de Pachetère et l'élève Fournier, commandant du " Saphir ".

Voici certes, des évocations passablement désassorties, exposées en peu rigoureuse ordonnance, et n'offrant guère dès lors, de liaisons entre elles.

Qu'elles me soient pardonnées si, telles quelles, elles ont pu éveiller en l'esprit d'honorables anciens, d'analogues souvenirs revenus dans la fraîcheur des impressions premières. Car par un charmant phénomène psychologique ce n'est pas avec sa vieille âme du présent qu'on se rappelle des sujets de ce genre, mais bien avec celle de jadis qui, n'est-ce pas, ne disparaît jamais entière. Rien en effet, de ce que nous avons été, rien de notre vie d'autrefois quel qu'en ait été l'oubli, ne s'efface irrémédiablement de cette plaque sensible où vinrent se refléter de choses, où tant de choses encore viendront se réfléchir. Qu'un conforme événement se produise, c'est aussitôt, à sa répercussion en notre cerveau, le jaillissement d'une étincelle dont se projette le rayonnement sur tout un brumeux passé. A la faveur donc, de la célébration actuelle, à la faveur des réminiscences que leur suggérera celle-ci, les anciens du Lycée pourront être dans la douceur - pour quelques instants du moins - d'éprouver la plaisante illusion de revivre sous leurs cheveux gris ou blancs, leur chère jeunesse lointaine qui si agréablement, se fleurissait de tant de roses espérances !

Henri KLEIN.

N. B. - " L'Afrique du Nord Illustrée " donnera, dans son prochain numéro, le compte-rendu des manifestations qui eurent lieu à l'occasion de ce Centenaire.