Notre bon et très fameux lycée Bugeaud
L’autre Symphonie inachevée, celle que vous ne connaissez pas…
par Tony Billotta

Transmis en aout 2025
sur site aout 2025

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L’autre Symphonie inachevée, celle que vous ne connaissez pas…
 
Les récits épiques concernant le prestigieux Lycée Bugeaud, son administration, ses professeurs, leurs élèves, ne manquent pas et sont très souvent empreints de tendresse, de nostalgie et si bien écrits qu’on ne se lasse pas de les lire et les relire ; et ainsi, de se replonger dans des souvenirs qui reviennent, surgissant d’on ne sait d’où…

Et me voilà par magie, transporté fin 1954, un mardi soir, en dernière heure, de 16 à 17h dans la salle d’éducation musicale où nous attend, droit comme un i,  et toujours armé de sa règle quadricolore graduée, notre prof M.Marcel Perrin, aux cheveux plaqués, tout de noir vêtu, l’air sévère devant l’entrée massive de plus de quarante adolescents bruyants, chahuteurs, saturés par les six heures de cours précédents pendant lesquels discipline, concentration, attention etc. sont de rigueur.

Aussi, est-ce sans surprise que nous nous installons à nos places habituelles après un remue-ménage de chaises légèrement accentué, non mais… ! ! !

Sur injonction de notre maestro, nous sommes invités à écouter attentivement  l’œuvre qu’il nous a choisie, de nous en imprégner, d’en dégager, exprimer ultérieurement nos sentiments dans nos carnets de « musique » et de ne surtout pas nous lever et ce, même si la cloche de sortie retentit.

Ouf ! Pas d’interros aujourd’hui et déjà, nous nous « mettons en action » :          les « cas d’or », tête posée sur les coudes, yeux fermés, d’autres, bras sur la table, regard vers le plafond, et les fatigués, affalés et prêts à s’endormir….

Dans un silence impressionnant, une musique, classique bien entendu mais dont je n’ai pas retenu l’auteur, s’élève et nous enveloppe, selon nos goûts, d’une torpeur ou d’un mysticisme propre aux connaisseurs ou…non.

Au bout de 45 minutes d’écoute, la sonnerie de sortie retentit. Personne ne bouge. Personne ? Non !  En bon élève, soucieux de m’acquitter de ma dette de devoir supplémentaire écopée à cause certainement d’une très mauvaise note en éducation musicale, contrairement à celles de mes camarades musiciens, je me lève pour aller puiser au fond de mon cartable, mon laïus imposé sur la vie et l’œuvre de ne sais quel musicien célèbre…

Et c’est à ce moment-là que le cours de l’Histoire va basculer ! ! !
 
 Car la vigilance de notre prof ne faiblit pas d’un iota ; d’une pichenette, il lâche sa règle qui, artistiquement accompagnée par notre divine musique, fend l’espace et après avoir heurté l’épaule du camarade assis devant moi, dans un magnifique salto avant, atteint sa cible : touché !

Un hurlement ! Je viens d’être atteint à un œil et vois des étoiles partout. La musique s’arrête, donnant ainsi le signal anticipé d’une sortie annoncée avec retard et rassurant les élèves de la 3è AB1 : pour les uns, ce sera le retour avec les copains habituels, pour les autres, ils ne feront pas attendre leurs parents venus les chercher en voiture, pour d’autres le chemin du stade et des entraînements…
Et moi dans tout ça ?

M.Perrin prend mon lourd cartable alors que je garde ma main sur l’œil blessé. Nous allons au secrétariat du lycée et après explications, nous voilà partis en 4CV. Nous filons vers le centre-ville et je comprends que nous longeons les boulevards du front de mer. Arrivés au carrefour de l’Agha, M.Perrin se gare à gauche, au début de la rue Charras et monte chez lui où nous accueille Madame. Je n’en mène pas large et reste confondu devant l’immensité de la pièce où je me trouve (à elle seule, elle équivaut à celle de notre appartement !) et où trône le premier piano à queue que je n’avais jamais imaginé. Nous allons ensuite chez son ophtalmologue, le docteur Lorrain, qui me soigne et établit une ordonnance de soins.  Et nous voilà repartis dans l’autre sens  vers Babeloued, moi  servant de copilote indiquant à mon prof, l’avenue de la Marne, de la Bouzaréah, Durando, des Consulats et enfin la rue de la Consolation et les immeubles des Messageries.

Grimpant les 4 étages sans ascenseur, nous trouvons ma mère, traumatisée par mon retard et prête à appeler Police-Secours et s’excusant presque du malheureux accident dont  j’avais été la victime.

Il n’y eut pas de suite à cette malencontreuse affaire. Non. Ah mais si !

Que croyez-vous qu’il advînt ?

M.Perrin n’a jamais plus utilisé sa réglette comme auxiliaire d’autorité et plus aucun lycéen de Bugeaud n’a failli être éborgné. Et tout ça, grâce à qui ? À toi ? Mon œil ! ! !

C’était en 1954, le début de la guerre… Vous croyez que je peux porter plainte ?