Lautre Symphonie inachevée,
celle que vous ne connaissez pas
Les récits épiques concernant le prestigieux Lycée
Bugeaud, son administration, ses professeurs, leurs élèves,
ne manquent pas et sont très souvent empreints de tendresse, de
nostalgie et si bien écrits quon ne se lasse pas de les lire
et les relire ; et ainsi, de se replonger dans des souvenirs qui
reviennent, surgissant don ne sait doù
Et me voilà par magie, transporté fin 1954, un mardi soir,
en dernière heure, de 16 à 17h dans la salle déducation
musicale où nous attend, droit comme un i, et toujours armé
de sa règle quadricolore graduée, notre prof M.Marcel Perrin,
aux cheveux plaqués, tout de noir vêtu, lair sévère
devant lentrée massive de plus de quarante adolescents bruyants,
chahuteurs, saturés par les six heures de cours précédents
pendant lesquels discipline, concentration, attention etc. sont de rigueur.
Aussi, est-ce sans surprise que nous nous installons à nos places
habituelles après un remue-ménage de chaises légèrement
accentué, non mais
! ! !
Sur injonction de notre maestro, nous sommes invités à écouter
attentivement luvre quil nous a choisie, de nous
en imprégner, den dégager, exprimer ultérieurement
nos sentiments dans nos carnets de « musique » et
de ne surtout pas nous lever et ce, même si la cloche de sortie
retentit.
Ouf ! Pas dinterros aujourdhui et déjà,
nous nous « mettons en action » :
les « cas dor », tête posée sur
les coudes, yeux fermés, dautres, bras sur la table, regard
vers le plafond, et les fatigués, affalés et prêts
à sendormir
.
Dans un silence impressionnant, une musique, classique bien entendu mais
dont je nai pas retenu lauteur, sélève
et nous enveloppe, selon nos goûts, dune torpeur ou dun
mysticisme propre aux connaisseurs ou
non.
Au bout de 45 minutes découte, la sonnerie de sortie retentit.
Personne ne bouge. Personne ? Non ! En bon élève,
soucieux de macquitter de ma dette de devoir supplémentaire
écopée à cause certainement dune très
mauvaise note en éducation musicale, contrairement à celles
de mes camarades musiciens, je me lève pour aller puiser au fond
de mon cartable, mon laïus imposé sur la vie et luvre
de ne sais quel musicien célèbre
Et cest à ce moment-là que le cours de lHistoire
va basculer ! ! !
Car la vigilance de notre prof ne faiblit pas dun iota ;
dune pichenette, il lâche sa règle qui, artistiquement
accompagnée par notre divine musique, fend lespace et après
avoir heurté lépaule du camarade assis devant moi,
dans un magnifique salto avant, atteint sa cible : touché !
Un hurlement ! Je viens dêtre atteint à un il
et vois des étoiles partout. La musique sarrête, donnant
ainsi le signal anticipé dune sortie annoncée avec
retard et rassurant les élèves de la 3è AB1 :
pour les uns, ce sera le retour avec les copains habituels, pour les autres,
ils ne feront pas attendre leurs parents venus les chercher en voiture,
pour dautres le chemin du stade et des entraînements
Et moi dans tout ça ?
M.Perrin prend mon lourd cartable alors que je garde ma main sur lil
blessé. Nous allons au secrétariat du lycée et après
explications, nous voilà partis en 4CV. Nous filons vers le centre-ville
et je comprends que nous longeons les boulevards du front de mer. Arrivés
au carrefour de lAgha, M.Perrin se gare à gauche, au début
de la rue Charras et monte chez lui où nous accueille Madame. Je
nen mène pas large et reste confondu devant limmensité
de la pièce où je me trouve (à elle seule, elle équivaut
à celle de notre appartement !) et où trône le
premier piano à queue que je navais jamais imaginé.
Nous allons ensuite chez son ophtalmologue, le docteur Lorrain, qui me
soigne et établit une ordonnance de soins. Et nous voilà
repartis dans lautre sens vers Babeloued, moi servant
de copilote indiquant à mon prof, lavenue de la Marne, de
la Bouzaréah, Durando, des Consulats et enfin la rue de la Consolation
et les immeubles des Messageries.
Grimpant les 4 étages sans ascenseur, nous trouvons ma mère,
traumatisée par mon retard et prête à appeler Police-Secours
et sexcusant presque du malheureux accident dont javais
été la victime.
Il ny eut pas de suite à cette malencontreuse affaire. Non.
Ah mais si !
Que croyez-vous quil advînt ?
M.Perrin na jamais plus utilisé sa réglette comme
auxiliaire dautorité et plus aucun lycéen de Bugeaud
na failli être éborgné. Et tout ça, grâce
à qui ? À toi ? Mon il ! ! !
Cétait en 1954, le début de la guerre
Vous
croyez que je peux porter plainte ?
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