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site le 4/12/2002
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-----Monsieur
Fredj n'était pas seulement professeur de mathématiques, c'était
un éducateur tous azimuths. -----Dès le premier jour, en nous spécifiant les fournitures qu'il fallait acheter chez Baconnier, il avait précisé qu'il fallait un compas "Kern", le plus cher du marché. -----"Le bon marché coûte cher ", nous déclara-t-il, comme il devait le répéter souvent. Première leçon de gestion, amortissement des investissements, expliqué avec des mots simples. : -----Respect et discipline sont un autre de ses enseignements. Oui, les colonnes par deux étaient alignées comme pour une parade militaire devant sa classe. Mystère insondable de la nature humaine et en particulier de la psychologie des garnements que nous étions ! A l'heure suivante, les mêmes élèves qui s'apprêtaient à suivre le cours d'espagnol de ce prof dont j'ai oublié le nom,(d'après Désiré NKaoua : mr.Cazenave) mais que chacun connaissait par son surnom (immérité) étaient déchaînés et hurlaient "cannasson !" à l'adresse du malheureux prof. -----Monsieur Fredj n'avait pas traîné pour nous apprendre la discipline. Le premier jour de l'année, un de mes camarades avait inauguré le piquet avant même de s'asseoir pour la première fois sur son banc ! Quel surprise de voir cet élève de quatrième envoyé au piquet, pour avoir ri en entrant dans la classe, car nous croyions cette punition réservée à l'école primaire, et elle l'était bien, ... sauf pour monsieur Fredj, mais nous ignorions encore la discipline de fer qui allait régner pendant toute l'année. -----Discipline, mais aussi bienséance. «Che ne veux pas voir votre bouton de col, disait-il avec sa prononciation si particulière du j. Soit fous mettez une cravate, soit fous gardez le col ouvert (car les v avaient aussi du mal à passer)». -----Rigueur et sens de la justice : j'ai gardé un souvenir intact de cette heure de 4ème A1 de 1953-54 où j'ai vu, en un bref intervalle souffler successivement le froid et le chaud. -----Monsieur Fredj interrogeait Menevis, mon camarade de banc, qui avait bien du mal à répondre. Moi, malin, j'essayais de l'aider, mais mes talents de ventriloque étant limités, monsieur Fredj s'en rendit compte. |
-----Il
s'interrompit d'un air théatral, comme il savait si bien le faire,
pour m'interpeler :"Chemoul, c'est toi qui as soufflé ?»
J'acquiescai piteusement. Il se tourna alors vers Bitoun, le chef de classe,
qui tenait le grand cahier de notes, en disant : "Bitoun, mets lui
çéro", car il était aussi fâché avec
les z, m'épargnant néanmoins le piquet. Quelques instants plus tard, alors qu'il faisait une démonstration au tableau, je levai le doigt pour dire : "Monsieur, il y a une solution plus rapide" -----«Ah, che pense que tu te trompes, répondit-il de sa lente élocution, ...mais fas y, fais ta démonstration.» -----Après mon rapide exposé, me distillant le suspense d'un silence de quelques secondes, il se tourna vers le chef de classe en disant : "Bitoun, mets lui fingt", puis compléta à mon adresse "mais tu gardes ton çéro". -----C'est ainsi que j'ai dû m'expliquer la semaine suivante avec mon père qui avait une vue très sélective de mon carnet de notes, et, ignorant superbement la deuxième note, exigea des comptes sur la première. -----En enseignant les mathématiques, monsieur Fredj savait aussi par ses déclarations ou seulement par l'exemple transmettre bien d'autres messages : bienséance, notions d'économie, discipline, sens du respect, rigueur et justice, outre d'autres leçons dont presque cinquante années ont gommé les traces. -----Monsieur Fredj était plus qu'un professeur de mathématiques, monsieur Fredj était un maître. Honneur à sa mémoire. |