Notre bon et très fameux lycée Bugeaud
Le lycée au temps jadis, extrait des Mémoires d'Émile Morinaud.
extraits du numéro 123, septembre 2008 de "l'Algérianiste", bulletin d'idées et d'information, avec l'autorisation de la direction actuelle de la revue "l'Algérianiste"
sur site le 5-2-2009

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Émile Morinaud (Philippeville 1865 - Djidjelli 1952)
Député républicain socialiste, puis radical indépendant de l'Algérie de 1898 à 1902, et de 1919 à 1940. Élu maire de Constantine en 1901. Sous-secrétaire d'État à l'Éducation physique du 2 mars au 13 décembre 1930 dans le gouvernement André Tardieu; sous-secrétaire d'État à l'Éducation physique du 27 janvier 1931 au 20 février 1932 dans le gouvernement de Pierre Laval.
René Viviani (Sidi-Bel-Abbès 1863 - Le Plessis-Robinson 1925)
Député de Paris en 1893, de la Creuse de 1910 à 1922, puis sénateur, il s'impose comme un ténor du socialisme parlementaire.
Il devient le premier ministre du Travail (de 1906 à 1910) et président du Conseil à la veille de la Première Guerre. Il cumule cette fonction avec les portefeuilles de l'Instruction publique, puis de la Justice. Pour obtenir l'envoi de troupes russes en France ou des aides financières des Américains, il se reconvertit en diplomate, ce qui l'amène à représenter la France à la Société des Nations en 1920-1921

Même les très bons élèves n'échappaient point - jadis - aux foudres académiques! En témoigne ce court extrait des souvenirs d'Emlle Morinaud retrouvé dans les Mémoires de celui qui devait devenir un maire célèbre de Constantine et l'un des grands bâtisseurs de la ville.

Sans histoire, je fis, au lycée d'Alger, une excellente rhétorique, passant la première partie du baccalauréat et remportant, à la fin de l'année, tous les succès que peut désirer un père.

Pendant les vacances, j'eus le bonheur d'être l'invité de M. Lochard, qui m'apprit à tirer au fusil.

Je rentrais ensuite à Alger pour faire ma philosophie, mais je ne devais pas la terminer au lycée. Nous étions mal nourris, et nous avions vainement présenté des réclamations à ce sujet.

N'ayant obtenu aucune satisfaction, nous décidâmes alors de frapper un grand coup : de nous " révolter ".

Un soir, au dîner, nous plantâmes, dans le plat de macaronis qu'on nous avait servi, une grande cuiller qui se tint debout sans peine; puis, après cette démonstration, nous refusâmes de manger.

Sortis du réfectoire, nous nous répandîmes dans la cour en hurlant. Ce fut un chahut en règle. Nous ne devions regagner notre dortoir qu'une heure après avec nos camarades, dont René Viviani qui devait faire par la suite, une si magnifique carrière.

Nous passions, tous deux, pour les chefs du mouvement. À peine arrivés au
dortoir, le surveillant général nommé Oliviéri m'interpella en ces termes: « Vous êtes un sacrrrripant, et vous finirrrez sur l'échafaud ".

Le proviseur, sur ces entrefaites, arriva au dortoir. Il nous demanda de nous calmer, nous promettant que, dans ce cas, il n'y aurait pas de répression. À quoi je répondis insolemment: " Peut-on avoir confiance en votre parole ? "

Sur cette injure, je fus invité à sortir immédiatement, et je fus conduit à la conciergerie, où l'on me mit instantanément à la porte du lycée.

Le lendemain matin, Viviani sortit à son tour de l'étude; il rencontra le censeur qui lui demanda : " Où allez-vous comme cela? ". À quoi, Viviani répondit: " Je m'en vais, j'en ai assez de votre boîte ", et il prit aussitôt la porte.

Comme j'étais un des premiers de la classe de philosophie et que l'on comptait sur moi pour le concours général, les professeurs réclamèrent une amnistie pour moi et pour Viviani qui était premier en français. Elle fut catégoriquement refusée.

Nous fîmes - avec Viviani, Gavault et de Cottens futurs auteurs dramatiques - une réunion de protestations véhémentes au café Glacier, place du square Bresson. Il y eut là quelques discours violents, frénétiquement applaudis, mais, comme résultat, ce fut bien entendu négatif. Nous rentrâmes dans nos familles. Mon père me fit une réception assez fraîche, puis il m'envoya au lycée de Constantine.

Là, le proviseur Pâris - au nom mythologique - déclara qu'il allait prendre des renseignements avant de me recevoir, et il me donna rendez-vous pour le lendemain. À cette seconde entrevue, il m'apprit que j'étais chassé de tous les lycées et que, de ce fait, il lui serait absolument impossible de me recevoir dans son établissement.

Je rentrai à Djidjelli. J'annonçai la fâcheuse nouvelle à mon père qui me demanda: " Que veux-tu faire ? ".
" Terminer seul mes études ".
" Très bien, conclut-il, à toi de montrer que tu es un homme ".

Je me remis au travail. On me vit, avec mes livres, étudier jusque dans la campagne, et je passai ma philosophie assez brillamment.

Viviani n'eut pas la même chance; alors, il entra à Marseille, dans une boîte à bachot. Il fut reçu en octobre, commença son droit aussitôt à Alger, et le termina à Paris où son splendide talent d'écrivain et d'orateur lui assura les plus brillants succès : il fut - on le sait - plusieurs fois ministre et même président du Conseil.

En somme, cette révolte lycéenne ne nous a pas trop porté malheur.